mardi 15 avril 2014

Ailleurs de Richard Russo (Document)

Richard Russo partage avec nous, lecteurs, la vie mouvementée qu’il a partagée avec sa mère, aujourd’hui décédée. Jean, est une femme qui a élevé seul Richard, son « Rico mio », à une époque où cela était encore plus compliqué qu’aujourd’hui. Jean fut une femme difficile à vivre, qui avait un certain nombre de manies et sautes d’humeur et qui est passée par de profonds moments de dépression. Par moments, il semblait qu’elle faisait ‘exprès’ de mener une vie compliquée, mais c’est qu’elle n’a jamais su reconnaitre que les troubles dont elle souffrait n’étaient pas normaux et auraient peut-être pu être soignés.

Elle n’a jamais pu se séparer vraiment de son fils et vivre comme elle disait « une vie indépendante ». Quand celui-ci décide de quitter leur petite ville de province pour aller étudier, Jean sera de la partie. Cela se fera de manière naturelle, Richard ne se posant pas de questions et il restera pour toujours la béquille de sa mère. Ainsi Jean va le suivre au gré des évolutions de sa vie (mariage, naissance des enfants, changements professionnels) et des déménagements car elle ne supporte pas d’être loin de son fils et ne sait pas conduire, c’est donc naturellement à celui-ci de se charger de l’emmener faire ses courses ou d’aller chez le coiffeur.

Oui, Jean n’était pas facile à vivre et pourrait être qualifiée de mère toxique, mais elle aimait indéniablement son fils unique et lui a insufflé l’amour des livres – c’est grâce à elle qu’il est devenu écrivain ! Il s’est beaucoup senti coupable de ne pas pouvoir aider plus sa mère qu’il ne l’a fait, mais en menant son enquête, il a su reconnaitre que sa culpabilité n’était pas toujours fondée. En retraçant le parcours qu’il a eu avec sa mère, Richard Russo a fait preuve d’une belle introspection. J’ai été touchée par ce fils qui a essayé de comprendre sa mère du mieux possible et heureuse de voir qu’à la fin il a pu mettre enfin des mots sur les troubles dont elle souffrait (même si son entourage n’est pas forcément d’accord avec ses conclusions). Aussi, j’ai aimé le regard qu’il a su poser sur le petit garçon qu’il a été et qui n’avait aucune clé pour décrypter le monde dans lequel il vivait avec sa mère (page 241 : « comment un enfant peut-il comprendre que le comportement de sa mère n’est pas normal quand aucun adulte ne lui dit et quand il n’a connu que ça ? Il n’a aucun moyen de remettre la situation en cause »).

lundi 24 mars 2014

Le parfum de ces livres que nous avons aimés de Will Schwalbe (document)


Will Schwalbe se lance dans un club de lecture avec sa mère qui vient d’apprendre qu’elle souffre d’un cancer du pancréas. Ce sera l’occasion pour la mère et le fils de partager leurs impressions sur ces livres que chacun lira de son côté, plus ou moins en parallèle, de découvrir de nouveaux auteurs, de se replonger dans des livres qu’ils ont aimés, d’évoquer des livres qui ont marqué leur enfance, et tout simplement d’être plus proche l’un de l’autre.

J’étais conquise avant même de lire le livre : pour une fervente lectrice, qui trouve beaucoup de plaisir, de réconfort et d’intérêts dans la lecture, je ne pouvais qu’être emballée par un livre qui allait me parler de livres. C’est un livre qui donne envie de réhabiliter la question « quel livre lis-tu en ce moment ? » (au lieu des sempiternels « quel film as-tu vu ? » ou « où pars-tu en vacances ? »).

Au-delà des livres évoqués et de l’envie de les découvrir, « le parfum de ces livres que nous avons aimés » est aussi une merveilleuse leçon de vie, quelle femme, Mary-Ann Schwalbe, quelle force et quelle détermination ! Une femme active qui était une pionnière à son époque (peu de femmes travaillaient par choix dans les années 60) et qui a inspiré de nombreuses autres femmes et jeunes filles. Aussi et surtout un fervent défenseur des droits humains, des réfugiés en particulier.

Le titre du livre fait aussi partie de ses attraits. Il était difficile à traduire de l’anglais vers le français (« the end of your life book club », quelque chose comme le club de lecture de la fin de ta vie) et le titre choisi évoque nécessairement l’amour qui est immense entre la mère et son fils (amour exacerbé par la maladie de Mary-Ann). En français, quel joli titre, doux, nostalgique et plein d’amour ; amour filial et amour des livres.

Je sais que c’est un livre dans lequel j’aurai plaisir à replonger, quand je serai en quête de nouvelles lectures, si un proche est malade et que je ne sais comment aborder cette situation délicate ou si je veux trouver de bonnes raisons de me motiver pour me lancer dans des actions solidaires. C’est un livre plein de vie et d’optimisme !

mercredi 12 mars 2014

Rendez-vous avec Lucian Freud de Georgie Greig (Document)

L’auteur, journaliste, a côtoyé Lucian Freud pendant de nombreuses années et le retrouvait régulièrement au « Clarck’s » pour petit-déjeuner. Le livre contient des extraits de leurs conversations et aussi de nombreux témoignages de l’entourage de Lucian. On sent une grande bienveillance de la part de l’auteur, mais il n’a pas cherché pour autant à masquer les zones d’ombre du personnage, et celles-ci étaient nombreuses : « et il laissait des victimes sur son passage : maîtresses abandonnées, enfants blessés, lettres laissées sans réponses ou réponses d’une grossièreté stupéfiante, dettes impayées, échange d’insultes. Sa règle, ou plutôt son absence de règles, consistait à dire ce qu’il voulait, poursuivant son art et son plaisir quel qu’en soit le coût, sans jamais faire de compromis » ; « On l’a accusé d’infidélité, de cruauté et d’absentéisme paternel, cependant en dépit d’une conduite d’un égoïsme parfois provocant, une partie de ses enfants et de ses maîtresses, continuent à défendre l’indéfendable. »

Ce livre est une très intéressante biographie d’un peintre finalement peu et mal connu en France. Et pourtant, quel homme, admirable par certains côtés et détestable par d’autres. Un grand peintre et un homme à la personnalité forte, petit fils du grand Sigmund Freud. Lucian quittera l’Allemagne pendant la guerre et sera ensuite naturalisé anglais. Un homme discret mais qui aura une vie folle et sera parfois poursuivi par les paparazzis (dont il n’hésitera pas à remettre les idées en place). Un bel homme, et charmant de surcroît, qui connaitra de nombreuses aventures, jusqu’au seuil de sa vie. Capable du meilleur comme du pire. Père de 14 enfants (ou plus !), mais il ne sera pas père dans le sens classique du terme. Ses enfants poseront pour lui, parfois nus. Il se brouillera facilement avec son entourage et le chapitre consacré à sa fille ainée Annie, montre la bonté mais aussi la cruauté de ce père atypique. Il ne pardonne pas, considère qu’il a toujours raison, les autres tort, et n’hésitera donc pas à se brouiller avec de nombreuses personnes.

Voici un passage qui résume bien le personnage : « sa vie était un vrai film : toujours des bagarres, pas une parole ennuyeuse, un art qui serait éternel, des femmes et des personnages formidables, toujours plein d’enfants. Même les mauvais moments avaient l’air bien. Il m’a raconté qu’il s’était disputé avec Francis Bacon pour avoir cassé la figure à un de ses petits amis qui attaquait Francis. C’était une vie magnifique. »

Yeruldgelgger de Ian Manook (Polar)

« Yeruldelgger », un mot dont le sens n’apparait pas de manière aisée, on se demande si c’est un nom de lieu, de personne… il s’agit en fait d’un commissaire mongol qui va devoir enquêter sur plusieurs meurtres particulièrement sordides. Il y a le meurtre des Chinois et de deux escort girls, mis en scène de manière atroce. Il y a une petite fille déterrée avec son tricycle des années après sa mort, et puis Yeruldelgger doit aussi surmonter la disparition de sa plus jeune fille, Kushi, assassinée dans des circonstances non élucidées.

Nous voilà plongés dans un environnement plutôt méconnu en France, le Mongolie d’hier et d’aujourd’hui, sa culture ancestrale, mais aussi la perte de cette culture dans un pays qui s’est rapidement occidentalisé. On découvre les laissés pour compte d’Oulan Bator, vivant dans les sous-sols obscures, près des tuyaux transportant l’eau chaude, mais on découvre aussi la steppe et ses fougueux chevaux mongols, la sagesse des vieilles gens, les traditions liées aux déplacements, au nomadisme (comment bénir la personne qui prend la route, dans quel sens tourner dans une yourte, entre autres).

Je me suis attachée aux personnages principaux - ceux qui recherchent la vérité - des personnalités fortes, dont Yeruldelgger, un homme brisé certes, mais qui retrouvera sa force au cours de ce périple meurtrier. Par contre, je me suis un peu perdue dans les intrigues, en particulier celle qui concerne les Chinois, et qui m’a semblé peut-être moins chargée émotionnellement et puis, il y a un peu trop de surenchère meurtrière à mon goût. J’ai trouvé le livre un peu long à lire, certains passages étaient peut-être de trop. Ceci étant dit, il y a des passages très réussis – pour n’en citer qu’un, le passage où l’un des protagonistes doit faire face à une de ses pires peurs, entouré de serpents, dans un lieu clos et au cœur de la nuit.

Une sainte d'Emilie de Turckheim (Roman)

C’est l’histoire assez particulière d’une femme, jamais nommée, qui est appelée « l’héroïne » et qui dès la première ligne du roman nous annonce que « très tôt, elle sut qu’elle serait sainte ». Ce sera une sainte décidément atypique, qui d’un côté vole sa mère, mais prend soin d’elle ; visite un homme en prison et souhaitera, après sa libération, l’y faire retourner.

C’est un livre qui me laisse un peu dubitative. J’en ai apprécié le côté atypique et le travail des mots ; il y a une vraie poésie qui s’en dégage, mais j’ai eu un peu de mal à trouver une ligne conductrice, un fil rouge. Les personnages sont pétris de contradictions, mais semblent ne pas s’en rendre compte. Le style est très métaphorique et les côtés surréalistes m’ont gênée. J’avoue apprécier un style plus réaliste.

Sur le travail des mots, j’ai apprécié les réflexions empreintes de poésie comme (page 77) « je ne passerai pas ma vie avec cette vie », ou page 52 « Un jour je sortirai de la prison avec ton effondrement et tu resteras enfermé avec ma joie ». Le style surréaliste que je n’ai pas toujours apprécié, m’a parfois agréablement surprise comme ici, page 179 « le vieux s’est cogné contre son propre cœur battant, qu’une infirmière a pendu à un fil, pour l’aérer ». L’univers de la prison au travers de ses cloisons, clés, cliquetis et horaires fixes, qui est une litanie perpétuelle et qui revient régulièrement au cours du récit, est très bien vu (faut-il préciser que l’auteur a été visiteuse de prison).

Globalement, je trouve que c’est une œuvre bien écrite et atypique, mais qui n’est pas vraiment mon style.

dimanche 23 février 2014

Comme les amours de Javier Marias (Roman)

Maria Dolz, éditrice madrilène, observe chaque matin un couple qui la fascine à la terrasse du café où elle prend son petit déjeuner. Ils sont rayonnants et irradient de bonheur. Fascinants donc. Puis un jour elle ne les voit plus et finit par apprendre que le mari a été sauvagement assassiné. Elle va alors se rapprocher un peu de la femme du défunt et de son meilleur ami Miguel. Petit à petit, presque imperceptiblement, le roman se transforme en une sorte de thriller, sans qu’on ne l’ait vu venir. Et pourtant l’histoire semble toujours rester secondaire. Ce qui importe le plus c’est de réfléchir, à la mort entre autres sujets.

Assez souvent, ce livre m’a semblé un peu trop intellectuel. Je suis très attachée à l’histoire et celle-ci se déroule si lentement que j’en ai ressenti de la frustration. Car l’histoire n’est pas le nœud du livre, mais bien un prétexte à réflexions. Le sujet de la mort est bien entendu omniprésent et j’ai aimé les passages où Luisa – la femme du défunt – « déballe » à Maria l’horreur et la solitude du deuil. Page 78 « il est un autre inconvénient à pâtir d’un malheur : pour qui l’éprouve, ses effets durent beaucoup plus que ne dure la patience des êtres disposés à l’écouter et à l’accompagner, l’inconditionnalité qui se teinte de monotonie ne résiste guère. Et ainsi, tôt ou tard, la personne triste reste seule alors qu’elle n’a pas encore terminé son deuil ou qu’on ne la laisse plus parler de ce qui est encore son seul monde, parce que ce monde d’angoisse finit par être insupportable et qu’il fait fuir ».

L’auteur semble nous donner son point de vue, page 25 « et ce qui se passe dans les romans est sans importance, on l’oublie une fois qu’ils sont finis. Ce sont les possibilités et les idées qu’ils nous inoculent et nous apportent à travers leurs cas imaginaires qui sont intéressantes, on s’en souvient plus nettement que des événements bien réels et on en tient compte ». Est-ce par hasard que l’auteur a choisi de donner à son personnage principal le travail d’éditrice ? Est-ce qu’il se moque de lui-même ou d’auteurs qu’il connait quand il fait le portrait d’hommes imbus de leur personne et pas toujours brillants bien qu’édités ? Quel est le rapport de chacun à la mort ? De nombreuses questions sont soulevées ici et libre au lecteur d’essayer d’y répondre.

Je suis interdite de Anouk Markovits (Roman)

Il s’agit d’une saga assez austère où l’on suit le destin de trois juifs élevés dans un courant fondamentaliste très strict : Joseph a vu ses parents et sa petite sœur tués devant ses yeux en 1939 en Transylvanie, Mila a aussi perdu ses parents pendant la guerre et a été recueillie chez les Stern à Paris. Elle sera élevée en même temps qu’Atara qui deviendra très vite comme une sœur pour elle. Joseph sera lui envoyé aux Etats-Unis pour vivre près du Rebbe (grand Rabbin du courant qu’ils suivent). Et l’on suit la petite histoire des personnages et l’Histoire avec un grand H car la fuite du Rebbe qui a réussi à rejoindre les Etats-Unis pendant la guerre est entachée de soupçons. Il aurait peut-être laissé beaucoup de juifs mourir pour sauver sa peau. Cela, on l’apprend petit à petit et dans le monde où Mila et Atara vivent, il est très difficile d’obtenir des informations car on ne peut pas lire les journaux, on ne peut pas regarder la télévision, écouter la radio. Il n’est d’ailleurs pas permis de communiquer avec qui que ce soit qui n’appartient pas à la communauté. Le mot « interdit » est un mot qui revient tout le temps et il y a une scène terrible quand après avoir fait du vélo un jour de Sabbat, Mila et Atara sont sévèrement réprimandées. L’une n’aura alors de cesse de questionner cette éducation où tout ou presque est interdit, l’autre ne la remettra pas en question.

C’est un livre qui nous fait découvrir un monde inconnu, qui nous permet d’effectuer une vraie plongée dans une communauté au mode de vie extrêmement éloigné du mode de vie occidental. Ce monde a un côté très oppressant pour qui connait la liberté de penser, de se mouvoir et la liberté d’expression. Lorsque l’une des deux amies souhaite étudier, on lui fait clairement comprendre que cela n’est pas de l’ordre du possible. Il est difficile de ne pas s’identifier à elle, à sa souffrance. On ne voit pas que les côtés négatifs de cette communauté, mais ses côtés négatifs sont si extrêmes qu’on a du mal à voir le positif. Il y a pourtant le travail, l’étude (de la religion uniquement), la solidarité familiale, mais ils sont écrasés par les « interdits ». Dans un tel contexte, les sentiments sont forcément exacerbés et les destins marqués, il est alors émouvant de suivre les personnages depuis leur plus jeune âge jusqu’au seuil de leur vie. C’est une saga captivante, par le monde qu’elle nous fait découvrir et l’enchevêtrement des histoires personnelles et de la grande histoire.

Par le feu de Jane Casey (Polar)

A Londres, un serial killer s’attaque aux jeunes femmes rentrant seules chez elles en fin de soirée. Particulièrement brutal, il les neutralise grâce à son Taser, les bat et les enflamme, ne leur laissant aucune chance… Rebecca Haworth semble être la dernière victime de celui qu’on appelle le « Crémateur ». Pourtant, le mode opératoire semble un peu différent cette fois-ci. La jeune Maeve Kerrigan va devoir enquêter.

Je trouve que globalement le roman tient la route et nous tient en haleine. Le ton est donné en tout début de roman, quand la jeune Kelly se retrouve, à moitié saoule dans la voiture d’un inconnu et qu’elle dessaoule d’un coup en se disant qu’elle est certainement embarquée avec le Serial Killer. Mais est-ce vraiment le cas ? La vérité n’est pas toujours celle que l’on croit.

L’enquête sur Rebecca Haworth nous révèle une jeune femme jolie, brillante, entourée d’amis ; et sa meilleure amie, Louise, est bouleversée par sa mort. J’ai apprécié de voir dévoiler la personnalité de Rebecca, l’enquête dans son entourage est bien menée ; on découvre petit à petit sa personnalité avec ses zones d’ombre. Le fait que son amie Louise change complètement à la mort de son amie : qu’elle se décide enfin à faire des choses qu’elle n’arrivait pas à faire jusque là me parait très réaliste. C’est comme si elle avait subi un électrochoc. Le fait qu’elle se rapproche de l’ex petit ami de Rebecca tout en se disant au fond d’elle-même qu’il est dangereux est aussi très intéressant.

C’est un roman qui parlera, je pense, aux trentenaires en proie aux interrogations personnelles. Que ce soit l’inspectrice ou Rebecca et Louise, toutes trois font face aux mêmes problématiques : quelle est la place à accorder à son travail, quelle est la place qui revient aux relations amoureuses, comment trouver un équilibre entre les deux, quelles sont nos propres priorités.

dimanche 19 janvier 2014

La théorie du chaos - Polar de Leonard Rosen

Henri Poincaré, commissaire à Interpol, est chargé d’enquêter sur la mort d’un mathématicien, James Fenster, assassiné à Amsterdam, alors qu’il s’apprêtait à faire un discours lors d’une conférence sur le commerce mondialisé. Etait-il sur le point de faire des révélations d’envergure ? C’est en tout cas cette piste que suit Poincaré. L’enquête s’avérera complexe et nous embarquera sur des chemins qui ne semblent pas avoir beaucoup de rapports les uns avec les autres, et pourtant… En parallèle, Poincaré est bouleversé par les menaces qu’un homme qu’il a arrêté pour crimes de guerre fait porter sur sa famille.

Ce polar nous entraîne dans le monde des mathématiques – plutôt à la mode en ce moment (cf le très intéressant documentaire à voir au cinéma en ce moment : « comment j’ai détesté les maths »). Cette discipline a beaucoup évolué dans les dernières décennies et se trouve en lien direct avec le monde nébuleux de la finance. La recherche de modèles mathématiques universels est un des thèmes de ce polar. L’intrigue y est dense et les pistes multiples. C’est un polar qui fonctionne bien et qui est bien de son temps. Poincaré est un personnage attachant qui rencontre des gens de trempes variées, les uns attachants, les autres exécrables. L’avocat américain et sa charmante maman, par exemple, apportent beaucoup de fraicheur dans un livre qui recèle aussi bons nombres d’atrocités. L’équilibre entre humanité et inhumanité est bien présent et l’intrigue nous happe totalement – à recommander.

Petites scènes capitales - Roman de Sylvie Germain

Nous suivons le parcours de Lili, enfant élevée par son père – sa mère l’ayant abandonnée dans sa première année – de son plus jeune âge à un âge avancé. Ce roman se déplie en chapitres assez courts qui sont autant de moments clé de la vie de Lili. L’écriture est précise et musicale, on sent que le choix des mots est mûrement réfléchi, travaillé.

Les thèmes abordés peuvent nous parler à tous : des moments de l’enfance ressuscités (de joies et de craintes), l’angoisse de l’abandon, de la mort ; le fait de se chercher, de s’interroger sur le rôle des parents dans nos destins… et puis ce livre nous fait traverser des époques révolues, comme la seconde guerre mondiale ou les années soixante.

A la lecture des premiers chapitres, j’ai eu peur que le roman ne s’enfonce dans la noirceur, tant sont présents les drames et les épisodes douloureux, mais heureusement, cela ne fut pas le cas. Le travail des mots m’a beaucoup plu ; on peut ouvrir le livre à n’importe quel page et tomber sur une envolée poétique, une poésie que je qualifierais de « successions », comme ici d’adjectifs (page 74) « il était à son tour une page très ancienne, effacée, toute neuve, un palimpseste nu, épiphanique » ou page 200 : « la peau grumeleuse des toiles, empâtée d’ocre, de bistre, d’or et de fauve appliqués par son corps-rouleau… ». J’ai aimé que ce livre me donne envie d’ouvrir un dictionnaire en m’offrant de jolis mots nouveaux. Sylvie Germain a définitivement une belle plume.

Attentat Express, Qui a tué Gilles Jacquier ? de Caroline Poiron

Gilles Jacquier, journaliste à France 2, est tué dans de terribles circonstances à Homs en Syrie, le 11 janvier 2012. Sa compagne, Caroline Poiron, elle aussi journaliste, est présente au moment des faits, mais n’est pas témoin de sa mort. Avec deux autres journalistes (suisses ceux-ci) présents dans leur petit groupe en Syrie à ce moment là, ils remontent le fil de l’histoire qui s’est terminée en drame. Leur enquête nous fait revivre presque minute par minute le jour du drame et les jours ayant précédé. Leurs contacts en Syrie, leurs chaperons, comment ils se sont retrouvés à Homs alors qu’ils n’avaient pas prévu d’y aller, tout est analysé à la loupe et les images vidéo sont re-visionnées avec l’aide d’experts.

L’état syrien s’était empressé de mettre le crime sur le dos de l’opposition, mais en reprenant tout le fil de leur périple en Syrie, Caroline Poiron nous montre à voir toutes les incohérences de ce scenario. Et c’est un scenario bien plus tarabiscoté qui se dessine peu à peu. Et si l’armée syrienne avait tout orchestré pour justement faire endosser ce crime par l’opposition ?

Ce livre est à la fois un témoignage fort sur la crise syrienne, qui permet de mieux en comprendre les ressorts et aussi un très bel hommage à Gilles Jacquier, au journalisme de guerre et au journalisme en général. Sa quête de vérité est loin d’être terminée car certaines réponses ne pourront sûrement faire surface qu’après la fin de la guerre civile. En attendant, ce livre fait parler de la Syrie et des conditions de vie qui se sont largement dégradées pour les civils depuis le début de la guerre et du travail de journalisme qui y est de plus en plus compliqué et dangereux à faire. Et ce constat terrible dans le dernier chapitre de l’ouvrage: « Et, aujourd’hui, qui couvre encore la Syrie ? De moins en moins de médias internationaux. Du coup, l’opinion publique n’y comprend quasiment plus rien, simplifie en mettant face à face un régime laïc et des islamistes assoiffés de sang. La Syrie baigne désormais dans une mer de sang, dans l’indifférence de la communauté internationale. »