dimanche 19 janvier 2014

La théorie du chaos - Polar de Leonard Rosen

Henri Poincaré, commissaire à Interpol, est chargé d’enquêter sur la mort d’un mathématicien, James Fenster, assassiné à Amsterdam, alors qu’il s’apprêtait à faire un discours lors d’une conférence sur le commerce mondialisé. Etait-il sur le point de faire des révélations d’envergure ? C’est en tout cas cette piste que suit Poincaré. L’enquête s’avérera complexe et nous embarquera sur des chemins qui ne semblent pas avoir beaucoup de rapports les uns avec les autres, et pourtant… En parallèle, Poincaré est bouleversé par les menaces qu’un homme qu’il a arrêté pour crimes de guerre fait porter sur sa famille.

Ce polar nous entraîne dans le monde des mathématiques – plutôt à la mode en ce moment (cf le très intéressant documentaire à voir au cinéma en ce moment : « comment j’ai détesté les maths »). Cette discipline a beaucoup évolué dans les dernières décennies et se trouve en lien direct avec le monde nébuleux de la finance. La recherche de modèles mathématiques universels est un des thèmes de ce polar. L’intrigue y est dense et les pistes multiples. C’est un polar qui fonctionne bien et qui est bien de son temps. Poincaré est un personnage attachant qui rencontre des gens de trempes variées, les uns attachants, les autres exécrables. L’avocat américain et sa charmante maman, par exemple, apportent beaucoup de fraicheur dans un livre qui recèle aussi bons nombres d’atrocités. L’équilibre entre humanité et inhumanité est bien présent et l’intrigue nous happe totalement – à recommander.

Petites scènes capitales - Roman de Sylvie Germain

Nous suivons le parcours de Lili, enfant élevée par son père – sa mère l’ayant abandonnée dans sa première année – de son plus jeune âge à un âge avancé. Ce roman se déplie en chapitres assez courts qui sont autant de moments clé de la vie de Lili. L’écriture est précise et musicale, on sent que le choix des mots est mûrement réfléchi, travaillé.

Les thèmes abordés peuvent nous parler à tous : des moments de l’enfance ressuscités (de joies et de craintes), l’angoisse de l’abandon, de la mort ; le fait de se chercher, de s’interroger sur le rôle des parents dans nos destins… et puis ce livre nous fait traverser des époques révolues, comme la seconde guerre mondiale ou les années soixante.

A la lecture des premiers chapitres, j’ai eu peur que le roman ne s’enfonce dans la noirceur, tant sont présents les drames et les épisodes douloureux, mais heureusement, cela ne fut pas le cas. Le travail des mots m’a beaucoup plu ; on peut ouvrir le livre à n’importe quel page et tomber sur une envolée poétique, une poésie que je qualifierais de « successions », comme ici d’adjectifs (page 74) « il était à son tour une page très ancienne, effacée, toute neuve, un palimpseste nu, épiphanique » ou page 200 : « la peau grumeleuse des toiles, empâtée d’ocre, de bistre, d’or et de fauve appliqués par son corps-rouleau… ». J’ai aimé que ce livre me donne envie d’ouvrir un dictionnaire en m’offrant de jolis mots nouveaux. Sylvie Germain a définitivement une belle plume.

Attentat Express, Qui a tué Gilles Jacquier ? de Caroline Poiron

Gilles Jacquier, journaliste à France 2, est tué dans de terribles circonstances à Homs en Syrie, le 11 janvier 2012. Sa compagne, Caroline Poiron, elle aussi journaliste, est présente au moment des faits, mais n’est pas témoin de sa mort. Avec deux autres journalistes (suisses ceux-ci) présents dans leur petit groupe en Syrie à ce moment là, ils remontent le fil de l’histoire qui s’est terminée en drame. Leur enquête nous fait revivre presque minute par minute le jour du drame et les jours ayant précédé. Leurs contacts en Syrie, leurs chaperons, comment ils se sont retrouvés à Homs alors qu’ils n’avaient pas prévu d’y aller, tout est analysé à la loupe et les images vidéo sont re-visionnées avec l’aide d’experts.

L’état syrien s’était empressé de mettre le crime sur le dos de l’opposition, mais en reprenant tout le fil de leur périple en Syrie, Caroline Poiron nous montre à voir toutes les incohérences de ce scenario. Et c’est un scenario bien plus tarabiscoté qui se dessine peu à peu. Et si l’armée syrienne avait tout orchestré pour justement faire endosser ce crime par l’opposition ?

Ce livre est à la fois un témoignage fort sur la crise syrienne, qui permet de mieux en comprendre les ressorts et aussi un très bel hommage à Gilles Jacquier, au journalisme de guerre et au journalisme en général. Sa quête de vérité est loin d’être terminée car certaines réponses ne pourront sûrement faire surface qu’après la fin de la guerre civile. En attendant, ce livre fait parler de la Syrie et des conditions de vie qui se sont largement dégradées pour les civils depuis le début de la guerre et du travail de journalisme qui y est de plus en plus compliqué et dangereux à faire. Et ce constat terrible dans le dernier chapitre de l’ouvrage: « Et, aujourd’hui, qui couvre encore la Syrie ? De moins en moins de médias internationaux. Du coup, l’opinion publique n’y comprend quasiment plus rien, simplifie en mettant face à face un régime laïc et des islamistes assoiffés de sang. La Syrie baigne désormais dans une mer de sang, dans l’indifférence de la communauté internationale. »